Comment sortir de ce carcan qui vous étouffe
Assise à son bureau Catherine tergiverse au sujet de sa prochaine réunion. Elle n’est pas confortable avec les recommandations qu’elle s’apprête à faire mais tout le monde semble les approuver, elles lui semblent un peu drastiques par rapport à la situation. Catherine pense que si elle partage ses appréhensions on lui dira sûrement de ne pas être aussi «sensible». Catherine se dit que de toute façon elle ne saurait pas COMMENT le dire sans paraitre dénigrer l’entreprise et certains collègues.
Catherine enlève ses lunettes et se frotte le visage…combien d’heures et d’énergie perdues dans ce dialogue interne, si seulement il y avait des personnes de confiance avec qui échanger sur ses sujets en toute honnêteté, sans crainte d’être étiquetée « sensible » ou autre. Mais il n’y en n’a pas et puis elle se dit que c’est le lot du manager, plus on monte, plus on est seul, autant si faire. Catherine ramasse ses dossiers, se lève et se dirige vers la salle de réunion… youpi-doo
Catherine est manager et Catherine se sent seule.
Elle travaille dans un bureau qui abrite plus de 300 personnes, elle dirige une équipe de 20 personnes, direct et indirect. Et c’est sans compter ses pairs dans les autres services. Comme de nombreux managers, Catherine est énormément entourés : collègues, collaborateurs, N+. Les managers comme Catherine sont aussi extrêmement sollicités : réunion, brainstorm, 1:1, conférence… non-solitude garantie !
Pourtant elle se sent seule.
Certains diront (moi la première) que la solitude est bénéfique : prise de recul, réflexion sur des idées stratégiques pour nos organisations. Cette prise de recul contribue aussi énormément à la connaissance de soi qui est essentielle pour développer son leadership. Vive la solitude… oui, mais : la solitude, choisie, programmée selon nos conditions.
Alors d’où provient ce sentiment de solitude ?
J’ai choisi de me pencher sur 3 raisons qui me paraissent les plus communes et importantes :
Le manque d’alignement :
Entre mes valeurs personnelles et celles de mon entreprise il y a dissonance. Chaque jour je prends des décisions, j’exécute des actions qui sont comme des petits coups de cutter dans mes valeurs. J’ai bien essayé au début de faire bouger les choses, je me suis « impliqué » comme on dit mais rien n’a changé. Aujourd’hui, je regarde ailleurs, pense à ma nouvelle voiture, mes prochaines vacances en me disant que c’est ça la vie d’adulte. Bien évidemment il est hors de question de partager ce sentiment avec qui ce soit au travail, je passerais pour un huluberlu et surtout, bye bye mes espoirs de promotion.
La peur de paraitre vulnérable :
Si je partage mes doutes, mes questionnements, mes peurs, cela va déstabiliser mon équipe, j’ai besoin d’être fort pour eux, ils ont besoin de sentir que leur manager sait ce qu’il fait et a toutes les réponses. Si je partage mes doutes, mes questionnements, mes peurs, je suis vulnérable. Mes pairs, mes supérieurs ne peuvent pas avoir confiance en moi, je dois envoyer une image forte, sans faille. C’est pour cela que l’on m’a mis à ce poste, parce que j’ai les réponses. Si je n’ai pas toutes les réponses, suis-je légitime dans mon rôle ?
Le sentiment de ne pas avoir les bonnes personnes avec qui partager :
Je voudrais bien partager, mettre mes questions sur la table, recevoir du feedback (du vrai) de personnes qui ont vécu des expériences similaires, des suggestions de personnes qui viennent d’horizons différents. Je ne peux pas faire cela en interne, cela peut créer des polémiques, je ne suis pas sûre que la confidentialité soit respectée et, franchement, j’ai envie de changer d’air ! J’entends parler de mentor, ok mais je le trouve où ce mentor ?
Ce sentiment de solitude affecte de nombreux échelons de la hiérarchie et, ironiquement, les PDG/CEO de ce monde l’ont bien compris et c’est pourquoi ils sont plus à même d’avoir un coach ou de participer à un mastermind de dirigeants.
Comment combattre ce sentiment de solitude en tant que manager?
Procédons par étape.
Tout d’abord, est-ce que je me sens seul-e? Si votre ressenti est que vous êtes soutenu-e, aidé-e, challengé-e et que cela vous aide à avancer. Dans ce cas tout va bien, continuez ainsi et utilisez vos moments de solitude comme un outil de réflexion.
1/ Vous ressentez un manque d’alignement
Clarifiez vos valeurs personnelles, notez-les sur une liste et rangez par ordre de priorité. Vous avez du mal à démarrer ? Penchez-vous sur des œuvres qui vous ont marqué, pourquoi ? Quel était leur thème ? Penchez-vous aussi sur des évènements ou situations récentes dans votre travail, Qu’ont-ils mis en exergue sur vos valeurs ?
Maintenant notez sur une autre liste les valeurs et la mission/vision de votre organisation.
Comparez – Y retrouvez-vous vos valeurs personnelles, un peu ? beaucoup ? pas du tout ?
Une parenthèse importante: En toute bienveillance, faites un « double-check » de vos 2 listes pour y relever toute influence qui pourrait brouiller votre vision et vous faire vous mordre les doigts une fois que vous aurez quitté votre entreprise : influence de collègues (vous savez, ces conversations autour de la machine à café, pleines de critiques et médisances stériles) je sais que vous êtes un grand leader mais on peut tous tomber dans le piège ! Ou encore le « Triangle de Karpmann » : reprenez ces évènements ou situations que vous voyez comme des exemples de votre manque d’alignement, étiez-vous en train de « jouer » le rôle de la victime, du bourreau ou du sauveur, allez, soyez honnête avec vous-même, personne ne doit le savoir!
C’est fait ? Je ferme cette parenthèse.
Option A :
Vous avez beaucoup de valeurs en commun. Super ! peut être qu’une surcharge de travail ou quelques évènements malheureux vous ont fait perdre de vue votre « pour quoi ». Un recadrage est surement nécessaire avec certains individus. Dans ce cas puisez le courage nécessaire dans le fait que vos valeurs et celles de votre organisation sont alignées pour faire face aux conversations difficiles qui sont nécessaires pour repartir sur de bonnes bases.
Option B:
Vous n’êtes pas du tout aligné avec la mission/valeurs de votre entreprise? hmm, vous savez déjà ce que je vais vous dire… Avant cela je vous demande 2 choses (oui je sais je demande beaucoup !):
Un peu de bienveillance : non, vous n’êtes pas idiot d’avoir choisi cette entreprise, peut être qu’à l’époque vous étiez alignés et l’un des deux a changé. Non, vous n’êtes pas un enfant gâté, peut être que vous ne vous étiez jamais penchée sur cette question de valeurs et n’aviez pas pleinement conscience de vos valeurs.
Soyez prêt à devoir faire le deuil de cette aventure professionnelle. Réjouissez-vous des opportunités d’apprentissages que vous avez eu – même si elles ont été douloureuses, de ce que vous avez apporté à cette organisation – allons, allons pas de mauvais esprit – ou des relations que vous avez noué et que vous garderez durant votre vie professionnelle, voir au-delà.
Et maintenant, à votre CV, LinkedIn… Partez !
Option C:
Vos 2 listes sont plus ou moins alignées… Etes-vous le type de personne à répondre « sans opinion » dans les sondages ? ou à noter entre 5 et 6 quand on vous demande une note sur 10 ?
Reprenez vos listes et mettez-y du cœur, de l’intuition et de l’opinion SVP. Sinon, je suis désolée de vous dire que votre vie professionnelle sera aussi relevée qu’une paella surgelé: bof.
Vous avez revu vos listes et la conclusion est toujours « un peu » ?
- Regardez la priorisation de vos valeurs et celle de l’entreprise, accordez-vous le même niveau d’importance aux mêmes valeurs?
- Est-ce votre rôle plutôt que l’organisation en elle-même avec lequel vous avez un challenge?
- N’êtes-vous pas en train de mélanger alignement avec des questions de compétences ou problème particulier?
- Auriez-vous un besoin de formation sur certains points qui vous permettrez d’être plus serein dans votre poste?
- Il y a-t-il un challenge spécifique avec une personne ou une situation que vous avez besoin de résoudre ? Parlez-en avec votre N+1 ou contact RH.
2/ Vous avez peur de paraitre vulnérable
Ah égo quand tu nous tiens… tu nous fais souvent faire des bêtises ! Notre besoin de paraitre fort, intelligent, dynamique [ajouter le qualificatif de votre choix] nous fait nous tirer une balle dans le pied : ajout de travail, stress inutile, danger de se tromper… Alors regardez vous bien en face et soyez honnête avec vous-même : Est-ce que votre solitude actuelle est la conséquence de votre peur de paraitre faible ? du syndrome de l’imposteur ? d’une compétition inavouée avec un collègue ?
Tout d’abord je vais vous faire une confidence : ils savent. Oui, ils savent. Vos questionnements, vos doutes, ils se voient comme le nez au milieu de la figure car cela fait longtemps que votre non-verbal vous a trahi. Faites le test et observez vos collègues, pas besoin d’être « mentaliste » pour ressentir la différence entre le discours et la posture.
Je vous suggère d’être méthodique : Est-ce que les faits soutiennent votre point de vue ? Listez les faits (pas les impressions) qui montrent que vous n’êtes pas légitime, que vous n’avez pas les compétences, que vos collègues pensent que vous n’êtes pas juste pour ce rôle ? Est-ce que la liste est longue ? Non ? c’est bien ce que je pensais.
Allons jusqu’au bout : Listez des faits qui contredisent votre perception de « faiblesse » ? feedback positif, superbe revue annuelle, objectif atteint trimestre après trimestre… Ah oui quand même, il y a plusieurs items sur cette liste.
Je suis facétieuse mais ce point est important, dans vos moments de doutes concentrez-vous sur les « faits » et vous remarquerez que souvent notre égo, dans son désir de nous protéger, nous enferme dans une prison de doute où nous répétons en boucle un scénario catastrophe imaginaire.
Alors vous avez peur de paraitre vulnérable ou illégitime en partageant vos doutes ? Quel est le pire qui puisse se passer? Qu’on vous dise que vous avez tort ? OK et après ? Est-ce vraiment une bonne raison pour vous imposer cette souffrance ?
3/ Vous avez le sentiment de ne pas avoir les bonnes personnes avec qui partager
C’est à la fois le plus facile et le plus délicat
Tout d’abord arrêtez vos idées reçues sur vos collègues. Ils ne sont pas mieux/moins bien que vous, ils n’ont pas moins/plus de doutes que vous… Le meilleur moyen de vous faire une idée juste est de démarrer le dialogue.
Tendez des perches, invitez 2 ou 3 personnes à déjeuner et lancez la conversation sur des points qui vous intéressent et voyez qui mord. Organisez des rdv informels sur certains sujets qui vous tiennent à coeur (QVT, RSE, zéro déchet…) et voyez qui y participe. Créer des liens avec certains et commencez à aller plus loin dans vos échanges afin que ceux-ci deviennent challengeant, aidant et vous permettent d’avancer et de vous développer.
Vous êtes 100% sûr qu’il n’y a personne dans votre entreprise et vous souhaitez explorer la route du mentorat. Quelques astuces : n’allez pas simplement demander à la personne de votre choix d’être votre mentor, surtout si vous ne le connaissez pas, car la réponse sera certainement non. Démarrer un dialogue, demandez une question, proposez vos services (sur un projet ou si cette personne participe à des projets « non-profit »). A travers ce dialogue votre « mentor » va vous découvrir et vous verrez si le courant passe. Ne soyez pas obsédé avec le fait de rendre cette relation « officielle », peut être que le mot mentor ne sera jamais prononcé mais que vous aurez bénéficié durant vos échanges de tout le mentorat dont vous avez besoin.
Sachez que vous pouvez aussi être accompagné par un mentor professionnel, par exemple, je suis mentor de femmes cadre qui souhaitent accéder à des postes exécutifs (CA/Comex)
Parlez-en à votre contact RH. Certaines entreprises font partie d’associations professionnelles qui vous permettent de rencontrer des personnes partageant vos intérêts sans qu’elles soient de votre entreprise.
Vous ne souhaitez pas le faire en interne ? Contactez l’APEC (Association professionnelle des cadres) qui organise nombre de meet up/conférences et ateliers. Vous êtes une femme, pourquoi ne pas rencontrer les membres de votre cercle Lean In.
Non, toujours pas? Vous souhaitez échanger hors du cadre professionnel et en toute confidentialité. Je vous propose un Coach pour vous accompagner dans votre développement mais aussi pour vous permettre d’y voir plus clair. Et si vous préférez la dynamique du groupe, trouvez un mastermind ou groupe de pairs. Dans un mastermind la confidentialité est de mise ainsi que le partage de connaissances, la bienveillance et le soutien. Personnellement je lead un mastermind ouvert aux femmes-manager souhaitant développer leur leadership pour plus d’équilibre et de succès dans leur carrière.
En conclusion, la solitude du manager est bien réelle quel qu’en soit la raison.
Il est important de réaliser qu’elle n’est pas porteuse pour l’individu ou l’entreprise. Il y a des solutions, j’en ai formulé plusieurs et regardez autour de vous, vous pouvez en identifier d’autres.
Je vous invite donc à prendre un moment de réflexion sur ce sujet et, si vous vous sentez impacté, à faire le premier pas afin de sortir de ce carcan qui rend le quotidien professionnel froid, amer et démotivant, il y a des solutions.
Et faites-moi une faveur, si vous pressentez qu’un collègue vit cette solitude, montrez de la compassion, une phrase, un peu d’humour pour délier la langue et lui permettre de briser le carcan qu’il se croit obliger de porter. Ne voudriez-vous pas qu’on fasse de même pour vous ?
Quel est votre retour d’expérience sur ce sujet? Si vous avez des suggestions ou des questions n’hésitez pas à partager.